En Afrique, les établissements saint Jean de Dieu actuels ont tous été fondés à partir des années 1950. Cela nous ferait presque oublier que les frères ont œuvré sur ce continent dès le XVIe siècle.

Après la mort de saint Jean de Dieu, ses compagnons ont rapidement diffusé le style de leur fondateur dans toute Europe, mais aussi sur les autres continents. Cette expansion a été facilitée par les liens tissés par les religieux avec les souverains qui firent appel à eux pour soigner leurs soldats lors d’expéditions militaires partout dans le monde.

Dispensaire des Frères de Saint Jean de Dieu à Tunis au 16e siècle

L’Afrique serait le premier continent après l’Europe sur lequel les frères ont posé le pied, dès 1573, soit un an seulement après la reconnaissance de la congrégation par le pape. A cette date, le roi Philippe II demanda aux frères espagnols d’accompagner ses troupes partant pour conquérir Bizerte et Tunis, en Afrique du Nord.

Par la suite, ses successeurs firent régulièrement appel à eux pour leurs expéditions au Maroc et en Algérie. Au cours de ces missions, plus d’une centaine de frères soignèrent les soldats, mais aussi les populations africaines, notamment lors des épidémies. Cependant leur action restait très ponctuelle puisque les religieux se devaient de suivre les armées.

La Forteresse du Mozambique et son hôpital au XVIIIe siècle (Gallica)

C’est seulement en 1681 que l’on assista à l’implantation d’un hôpital saint Jean de Dieu durable sur le continent africain, lorsqu’un décret royal confia aux frères l’hôpital de la forteresse de Mozambique. Cet hôpital d’une centaine de lits et desservi par huit religieux a très vite acquis une importance stratégique pour l’Ordre car c’est depuis le Mozambique que furent envoyé les religieux qui fondèrent les premiers hôpitaux en Inde à partir de 1685.

L’hôpital devint alors le siège du Commissariat général pour les Indes Orientales, qui avait autorité sur toutes les maisons fondées par le Portugal en Asie aux XVIIe et XVIIIe siècle. Cependant, aux prises avec de nombreuses difficultés, l’hôpital périclita lentement jusqu’à la suppression de la présence de l’Ordre dans ce pays en 1834.

Etonnamment, cette fondation africaine est très longtemps demeurée isolée et il fallut même attendre le milieu du XXe siècle pour assister au retour de l’Ordre en Afrique. En 1943, pour commencer, les frères portugais retournèrent au Mozambique, où ils prirent en main l’hôpital psychiatrique public de Vila Luisa et réalisèrent plusieurs fondations aux alentours.

Les Frères portugais et leurs patients au Mozambique en 1951

Puis, vivement encouragées par la curie générale, beaucoup d’autres provinces européennes se lancèrent dans l’aventure missionnaire africaine, en fondant de nombreux hôpitaux dans une dizaine de pays différents. Chaque hôpital était alors géré par la province fondatrice.

Puis Rome créa en 1989 une délégation générale d’Afrique, jetant ainsi les bases d’une entité africaine indépendante, dont la province Saint Augustin d’Afrique et la Province Saint Richard Pampuri de Togo-Bénin sont aujourd’hui les héritières.

Dès le XVIIe siècle, les Frères de Saint Jean de Dieu ont embarqué sur les navires royaux pour ouvrir des hôpitaux aux Antilles. En Martinique, ils ont laissé deux petits souvenirs de leur passage… plutôt inattendus ! Le deuxième est l’œuvre du Frère Edmond.

Vue du Fort Saint-Pierre de la Martinique en 1776 (Wikimedia Commons)

Au XVIIIe siècle, Frère Edmond Lefebure était supérieur de la communauté du Fort Saint-Pierre de la Martinique et gérait également l’hôpital tenu par les frères. Cherchant de nouvelles ressources pour subvenir aux besoins de son établissement, il eut l’idée de tirer parti de ses talents d’alchimiste pour créer un produit à commercialiser au profit de l’hôpital et des malades.

Il avait déjà créé une sucrerie pour transformer les cannes à sucre produites dans le champ que possédaient les frères et travailla dans le plus grand secret à une autre possibilité offerte par ces cannes à sucre : la production d’alcool. A force de travail, il réussit à créer une eau de vie de grande qualité.

Représentation-type d’une habitation sucrière aux Antilles en 1762 (Wikimedia Commons)

Mais à cette époque, les importations de rhum vers la France métropolitaine étaient prohibées en vertu d’un décret royal. Cela ne découragea pas le frère Edmond qui trouva une parade : il allait vendre son alcool aux colons de Nouvelle-Angleterre (les Etats-Unis d’aujourd’hui). Pour séduire ces acheteurs étrangers, il choisit de baptiser son breuvage d’un nom à consonance anglo-saxonne : « Saint James ».

Si les frères de saint Jean de Dieu ont été chassés de leurs hôpitaux à la Révolution française et ont donc dû abandonner leur fabrique de sucre de canne tout comme leur distillerie de Martinique, le rhum Saint James continua d’y être produit après leur départ.

Comme vestige du passage du Frère Edmond en Martinique, on retrouva dans les ruines de Saint-Pierre, après l’éruption de la Montagne Pelée en 1902, une pierre gravée sur laquelle on pouvait lire : “En MDCCLXV (1765), cette sucrerie a été édifiée par les soins du père Edmond Lefebure, supérieur”.

Mais l’autre marque de son passage, le rhum Saint James, a eu quant à lui, une destinée que son “père” était sans doute loin de soupçonner.

Dès le XVIIe siècle, les Frères de Saint Jean de Dieu ont embarqué sur les navires royaux pour ouvrir des hôpitaux aux Antilles. En Martinique, ils ont laissé deux petits souvenirs de leur passage… plutôt inattendus ! Le premier est l’œuvre du Frère Cléophas.

Nos religieux avaient plus d’une corde à leur arc et savaient faire preuve de polyvalence pour servir leur prochain ! C’est le cas du Frère Cléophas, arrivé au milieu du XVIIIe siècle à la communauté de Fort-Saint-Pierre. Comme tout bon frère de saint Jean de Dieu, il avait été formé aux soins à donner aux malades, mais il avait aussi appris l’architecture « sur le tas ». En effet, faute de moyens suffisants pour confier ce travail à un professionnel, il avait supervisé des travaux de construction dans plusieurs maisons. Cependant, en apprenant, on fait inévitablement des erreurs : la chapelle qu’il avait construite à Château-Thierry par exemple, s’était écroulée seulement quelques années plus tard et avait dû être reconstruite !

Le Pont Roche sur la rivière Roxelane à Saint-Pierre de la Martinique en 1900, avec parapets et plaque de marbre centrale (Wikimedia Commons).

Mais arrivé en Martinique, Frère Cléophas avait déjà une certaine expérience qu’il allait mettre à profit. À l’époque, il n’existait à Fort-Saint-Pierre qu’un seul accès pour franchir la rivière Roxelane : un pont de bois déjà centenaire. Sous l’impulsion du Frère Cléophas, les habitants construisent donc un nouveau pont, un solide pont de pierre, terminé en 1766. Connu sous le nom de Pont Roche, il portait l’inscription suivante sur une plaque de marbre : « Lan MDCCLXVI du règne de Louis XV, ce pont a été construit sous le généralat du comte d’Ennery et Intendance du président Thomassin de Peynier par les soins et sous la direction du frère Cléophas Danton, religieux de la Charité, qui a rendu ce service au public aux dépens des paroisses du Fort, du Mouillage et du Tricheur ».

Le Pont Roche sur la Roxelane et le quartier du Fort en ruine après l’éruption de la montagne Pelée du 8 mai 1902 (Wikimedia Commons).

Ce pont a eu un très bel avenir puisqu’il a facilité grandement l’extension de la ville le long du rivage vers le Sud. Force est de constater que Frère Cléophas avait fait beaucoup de progrès depuis l’époque de Château-Thierry. Pour être solide, ce nouveau pont était solide ! A tel point qu’en 1902 il a résisté à l’éruption de la Montagne Pelée qui a pourtant détruit toute la ville et ses alentours. Seuls les parapets et la plaque de marbre ont été emportés. Toujours debout, il est aujourd’hui le plus vieux pont de Martinique et inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques : belle revanche pour notre architecte amateur !

« Ensemble, semeurs d’une hospitalité qui transforme » – c’est par ces mots que Frère Pascal Ahodegnon, Supérieur général de l’Ordre hospitalier de Saint Jean de Dieu, a conclu la Visite canonique générale de la Province Saint Jean-Baptiste. Durant un mois, les Frères Joaquim et Étienne, tous deux conseillers généraux, ont sillonné la France métropolitaine et l’Océan indien, à la rencontre des établissements de la Fondation Saint Jean de Dieu et des communautés.

La clôture, qui s’est tenue les 3 et 4 juillet 2025 au Centre Lecourbe à Paris, a rassemblé plus de 80 participants : frères, sœurs, collaborateurs et bénévoles venus de toute la province, avec de nombreux collaborateurs et frères connectés en visio depuis l’Ile Maurice, La Réunion ou encore Madagascar.

Une hospitalité incarnée, inventive, vivante

Frère Pascal Ahodegnon l’a souligné avec force : « Ce que j’ai entendu, ce sont des témoignages forts d’une hospitalité fraternelle […] enracinée, inventive, vivante. » À travers les rapports remis et les échanges menés sur place, il a salué les nombreuses initiatives portées localement : démarches RSE, implication de jeunes volontaires, ateliers de médiation culturelle, accueil inconditionnel des personnes les plus vulnérables…

« Vos lieux de mission sont des espaces où l’humanité est restaurée, où chacun retrouve sa dignité », a confirmé Frère Étienne, revenu marqué de sa tournée à Madagascar, La Réunion et l’île Maurice. Il y a vu une hospitalité agissante, portée par des frères et des collaborateurs unis dans un esprit de coresponsabilité.

Une mission partagée, une fraternité renouvelée

Par-delà les constats d’une province vivante, la Visite canonique a aussi été l’occasion d’un appel : appel à une gouvernance partagée, à une écoute active, à un renouvellement du lien entre frères et laïcs. Frère Joaquim, qui a visité les établissements en métropole, a salué le dynamisme de la Fondation Saint Jean de Dieu : « Une structure en pleine vitalité, capable d’accueillir d’autres congrégations et de continuer à innover dans l’accompagnement des plus fragiles. »

Il a appelé à faire de l’hospitalité plus qu’un geste : une culture institutionnelle. « Il ne s’agit pas de “faire” de l’hospitalité, mais d’être hospitaliers. »

Une province unie et confiante

En ouverture de la session finale, Frère Paul-Marie Taufana, Supérieur provincial, a remercié l’ensemble des acteurs de cette Visite canonique pour leur engagement et leur accueil : « Religieux, laïcs, partenaires, résidents, bénévoles, donateurs : nous avançons unis. L’hospitalité est notre force, elle est notre avenir. Elle nous rassemble, nous engage et nous définit. » Ce moment fort a été salué comme une étape vers une hospitalité toujours plus ouverte et plus audacieuse. Frère Paul-Marie a également souligné le rôle crucial des équipes locales et des communautés dans l’incarnation quotidienne du charisme légué par saint Jean de Dieu.

Une étape vers le prochain Chapitre

Tous les intervenants ont convergé vers une même conviction : cette visite n’est pas une fin, mais un commencement. En ligne de mire : le 105ᵉ Chapitre provincial, en février 2026. « Ce ne sera pas une simple formalité, a rappelé Frère Pascal, mais un kairos – un temps de vérité, de discernement et de responsabilité partagée. » L’occasion, pour la Province, de repenser sa mission, sa présence, sa manière d’habiter le monde.

Une gratitude partagée

En clôture des discours et avant que les participants ne se retrouvent pour célébrer l’eucharistie ensemble, les remerciements ont été nombreux : à Frère Paul-Marie Taufana, supérieur provincial, pour son accompagnement. Aux équipes dirigeantes, aux bénévoles, aux frères aînés « veilleurs silencieux », et à tous ceux qui portent le charisme de saint Jean de Dieu dans l’ombre du quotidien.

« Vous êtes les mains visibles du charisme, les visages quotidiens de l’hospitalité », a rappelé Frère Étienne. Et Frère Pascal de conclure : « Que nos établissements soient des maisons de compassion. Que nos communautés soient des lieux de discernement. Et que notre mission, vécue ensemble, soit habitée par une joie contagieuse et une espérance active. »

Retrouvez les discours dans leur intégralité à ces liens : 

👉 Discours d’ouverture de la session finale (Frère Paul-Marie Taufana)

👉 Discours de clôture générale (Frère Pascal Ahodegnon)

👉 Rapport final France (Frère Joaquim Erra Mas)

👉 Rapport final Océan indien (Frère Etienne)

Si Joseph Haydn est un compositeur bien connu qui évoque chez chacun d’entre nous le classicisme viennois, tout comme Beethoven ou autre Mozart, beaucoup ignorent la grande richesse de sa relation avec les frères de Saint Jean de Dieu.