A la curie provinciale des frères de saint Jean de Dieu se trouve un tableau de 1917 intitulé « En 1826, les frères de saint Jean de Dieu délivrant les aliénés des prisons », témoignant d’un geste emblématique des précurseurs de la psychiatrie.

La scène se situe au début du XIXe siècle. En effet, à cette époque, les personnes considérées comme folles étaient enfermées, enchaînées dans les prisons, au même titre que les délinquants et les criminels. C’est dans ce contexte que le Père de Magallon restaura l’Ordre Hospitalier de Saint Jean de Dieu en France. Il se tourna donc tout naturellement en priorité vers ceux que l’on appelait les aliénés et fonda, pour les accueillir, et surtout pour les soigner, trois hôpitaux psychiatriques (à Lyon en 1824, Lille en 1825 et Dinan en 1836). Très vite, les succès des frères de saint Jean de Dieu dans le traitement de leurs patients avaient conduit la Chambre des Pairs à consulter le Père de Magallon sur ses idées et méthodes lors de l’élaboration de la loi du 30 juin 1838, première loi sur les aliénés.

Délivrer les aliénés est un geste qui a beaucoup frappé les esprits à cette époque et marque la prise de conscience que le fou est un malade qui nécessite des soins. Il avait déjà été immortalisé par plusieurs peintres français lorsqu’il avait été accompli par Philippe Pinel à l’hôpital Bicêtre et à La Salpêtrière. Mais si le thème de ces tableaux est identique au nôtre, son traitement montre une différence d’attitude entre le célèbre aliéniste et les frères de saint Jean de Dieu.

Dans ces deux tableaux, Pinel ordonne de retirer les fers des malades mentaux de l’hôpital. Il se tient droit, en posture d’autorité, à l’écart des patients. Notre tableau est bien différent. On y voit deux frères de saint Jean de Dieu, dans une prison, autour d’un malade mental en haillons et enchaîné. Sous le regard étonné du gardien et d’un autre détenu, le premier frère retire lui-même les chaînes du prisonnier, laissant celui-ci s’appuyer sur son épaule, tandis que le deuxième couvre l’homme de vêtements décents. On perçoit dans ces gestes tout le respect que les religieux portent à cette personne malade, qu’ils ne se contentent pas de délivrer, mais qu’ils soutiennent et vêtissent, avant de l’accompagner jusqu’à leur hôpital où ils lui prodigueront tous les soins que son état nécessite. Ce malade en haillons, éclairé par la lumière qui traverse les barreaux de la prison, évoque également la figure du Christ, car les frères soignent ceux qu’ils accueillent comme s’ils étaient le Christ lui-même.

Ce tableau a été peint en 1917, à partir d’une lithographie de Joseph Langlumé (1790-1830). L’auteur n’est pas un artiste célèbre, mais son identité donne à cette toile une dimension supplémentaire : le peintre était lui-même un patient des frères, à l’hôpital psychiatrique saint Jean de Dieu de Lyon et réalisait régulièrement des tableaux pour eux à partir de modèles qu’ils lui donnaient. Mais lorsqu’il a peint cette toile, on peut imaginer l’effet que cette scène a pu produire sur lui : il peignait le sort qui aurait pu être le sien s’il avait vécu un siècle plus tôt, s’il n’avait pas connu les frères de saint Jean de Dieu.