Le 29 décembre 2023, après une escale prolongée aux îles canaries, dans l’attente d’une pièce pour notre moteur, c’est vers le Sénégal que nous pointons notre étrave. 6 jours de navigation nous permettent de sauter dans la nouvelle année et de rejoindre la péninsule de Dakar, capitale du Sénégal. Un baptême offshore validé pour Anna qui n’a alors que 8 mois.
Après quelques jours d’acclimatation, nous sommes chaleureusement accueillis par les frères du centre Dalal Xel de Thiès, Sénégal, situé à quelques kilomètres de Dakar.
La lenteur n’est pas vraiment le qualificatif que l’on pourrait attribuer à la vie du centre, tant les frères se donnent sans relâche de l’aube jusqu’au soir pour accueillir les patients, assurer les consultations, la tenue du potager et la gestion des projets. Frère Etienne est le directeur du centre de Thiès, qui compte une cinquantaine de collaborateurs, un service d’hospitalisation avec 52 lits et 6 chambres, un service ambulatoire, un service de thérapie occupationnelle et des services généraux.
Il assure avec l’appui précieux de Frère Léon la gestion du centre et des nombreux projets en cours et à venir. Car sont des travailleurs acharnés mais aussi des visionnaires de l’hospitalité, dans un pays où la santé mentale n’est pas considérée comme un axe de développement prioritaire. Plusieurs projets sont en cours dont un hôpital de jour, des campagnes de sensibilisation à la drogue dans les écoles en partenariat avec l’institut académique de Thiès et un centre de prise en charge des addictions. Les projets ne manquent pas, les financements eux sont plus rares.
Chaque jour les patients affluent et l’on est touché par l’accueil fraternel qui leur est offert malgré le manque de personnel spécialisé et l’insuffisance de moyens techniques. Dans un pays à majorité musulmane raisonne plus que tout la phrase de Jésus « Vous êtes tous frères » (Mt, 23,8) sans distinction aucune.
Frère Dominique accueille chaque matin, avec les autres médecins, les patients et leurs familles qui font la file devant le bâtiment des consultations. Tandis que Frère Emmanuel, infirmier, est à l’œuvre auprès des patients hospitalisés pour administrer les traitements et suivre leur évolution.
Chaque samedi, les frères et le personnel soignants assurent de façon active un service de consultations ambulatoires dans plusieurs zones isolées du pays où les besoins en santé primaire et santé mentale sont nombreux.
Le quotidien des patients hospitalisés et stabilisés est rythmé en semaine par les séances de thérapie occupationnelle avec Joachim Malik, l’animateur débordant d’imagination de créativité pour ses frères. Nous participons chaque matin avec Anna à ses temps forts ponctués de causeries, de jeux et travaux de bricolage organisés et de danses africaines endiablées autour du thé. Et toujours cette joie déroutante au milieu de la souffrance. Ils ont beaucoup à nous enseigner et nous sommes heureux de partager ces moments précieux avec eux, de les faire voyager aussi, un peu.
La veille de notre départ nous projetons sur un écran des photos de notre traversée en bateau. Un voyage qui laisse libre cours à l’imagination (« Un véritable conte de fée » nous livre un patient charmé) mais aussi à une discussion encouragée par l’animateur Joachim sur l’immigration vers les pays du Nord – un sujet préoccupant et omniprésent pour tous. Nous consacrons le dernier atelier avec eux à la confection de bracelet en tissus pour les patients de l’hôpital Saint Jean de Dieu Dinan / Saint-Brieuc, que nous projetons d’aller visiter à notre retour en France. Nous les sentons heureux pour certains de créer du lien avec leurs frères qui souffrent aussi là-bas.
Suzanne, l’assistante sociale, nous livre son témoignage sur le vide médical que subit le pays notamment dans le domaine de la santé mentale et qui impacte fortement le rétablissement des patients. Faute de personnel, il est impossible d’assurer un suivi psychologique post-hospitalisation qui pourrait éviter de nombreuses rechutes.
A midi, la cloche du déjeuner retentit et la file de patient se forme rapidement à l’entrée de la cantine. Les embrassades sont furtives et sincères, à l’image de notre voyage. Tel des messagers qui passent, arrivent les mains vides et repartent le cœur chargé de la souffrance, des sourires et des danses de ceux dont nous avons partagé le quotidien seulement quelques jours.
Nous partageons un dernier repas avec les frères avant de rejoindre Malo d’Eau, qui manque de disparaître sous la poussière chargée de pollution et d’histoire de Dakar.
Nous mettons les voiles vers la Gambie, ce petit pays voisin enclavé dans le Sénégal, pour remonter son fleuve et y laisser Malo d’Eau quelques mois pendant notre retour en France.