Entretien croisé avec Frère Louis Kuyokwa et Frère Donatus Forkan, le plus jeune et le plus âgé des capitulants. Chacun avec sa perspective, ils nous rappellent l’importance d’un engagement authentique et d’un lien fort entre générations pour répondre aux défis du monde actuel.
En quoi ce Chapitre a-t-il enrichi votre vision des réalités de l’Ordre ?
Frère Louis : Ce Chapitre est une expérience riche, notamment grâce aux échanges avec les collaborateurs laïcs qui nous ont rejoints les deux premières semaines. Ensemble, nous avons réfléchi à la transmission de notre charisme dans un monde en pleine mutation. Nos discussions ont été très ouvertes et devraient déboucher sur des résolutions concrètes pour l’avenir de l’Ordre. En tant que jeune frère, je ressens fortement l’importance de cette transmission, autant avec les collaborateurs qu’avec les frères âgés qui nous partagent leurs expériences et leur sagesse.
Frère Donatus : Ce Chapitre est, pour moi, différent des précédents, notamment dans sa façon d’intégrer les collaborateurs. Dans le passé, leur présence était plus symbolique. Cette fois-ci ils ont participé pleinement aux discussions, avec la même voix que les frères. Cette évolution reflète bien notre mission commune, car ce sont de plus en plus souvent les laïcs qui assurent le travail quotidien auprès des malades et des marginalisés. Il y avait une vraie liberté d’expression, essentielle pour réfléchir à notre mission d’hospitalité dans un monde de plus en plus divisé et en souffrance.
Parmi les thèmes majeurs abordés, celui de la gouvernance. Comment aborder un tel thème avec des réalités aussi différentes d’une province à l’autre ?
Frère Louis : Le thème de la gouvernance nous pousse à repenser notre manière de transmettre le charisme et de gérer nos œuvres. Cela a été une bonne expérience de découvrir les réalités européennes, très différentes des nôtres, en Afrique ou en Inde par exemple. Cette dynamique nous pousse à être plus proches les uns des autres. Apprendre des expériences et des défis de chacun est essentiel.
Frère Donatus : La gouvernance a énormément évolué au sein de l’Ordre. Autrefois, notre mode de vie était plutôt monastique, centré sur la communauté. Aujourd’hui, l’accent est mis sur la continuité de notre charisme, peu importe qui administre. Nous devons préserver l’éthique et la mission de saint Jean de Dieu en trouvant de nouvelles formes de gouvernance qui permette à chacun, frères et collaborateurs, de pérenniser la mission d’hospitalité. Le renouveau initié par le Concile Vatican II nous a enseigné à toujours revenir aux fondamentaux comme les Écritures ou le charisme de nos fondateurs. C’est ce que nous devons faire, au regard des signes des temps, pour rester crédibles.
Quelle est votre vision du rôle du Frère hospitalier, dans un monde en mutation ?
Frère Louis : La différence entre notre vocation de frères et un professionnel est fondamentale. Être frère, ce n’est pas seulement travailler dans un hôpital ou un centre social ; c’est une manière d’être, un témoignage qui doit inspirer les autres. Notre rôle est de transmettre et d’incarner notre charisme d’hospitalité, de façon à ce que nos collaborateurs puissent aussi s’en imprégner.
Frère Donatus : Le rôle du frère a évolué. Aujourd’hui, il est davantage un mentor et un guide, un témoin des valeurs de saint Jean de Dieu. Ce n’est pas tant un rôle de contrôle qu’un rôle d’accompagnement. Nous devons transmettre notre histoire, notre héritage et être une présence prophétique, même dans un environnement difficile. L’hospitalité peut créer des liens là où les différences semblent insurmontables ; elle rend possible ce qui paraissait impossible. Je l’ai vu notamment dans notre hôpital de Nazareth où collaborateurs et patients de toutes religions font un travail extraordinaire avec les frères.
Comment rester fidèle à ce rôle dans un monde où la tentation est davantage tournée vers les « mondanités spirituelles », souvent critiquées par le pape François ?
Frère Louis : En tant que frères, nous sommes privilégiés de vivre quotidiennement au contact des plus vulnérables. Cela nous pousse à voir le Christ à travers eux et à faire de notre vie une prière permanente. La mondanité spirituelle, qu’elle soit due à l’argent, aux biens matériels ou à l’orgueil, est une tentation qui nous guette tous, mais, en plus de rester fidèles à la prière, nous devons nous soutenir mutuellement pour y résister et demeurer fidèles au charisme d’hospitalité.
Frère Donatus : Il nous faut être en permanent renouvellement dans notre vocation, comme nous y a invité le Concile Vatican II. Avant, nous vivions uniquement au travers de règles. Aujourd’hui nous avons un autre mode de fonctionnement qui nous ouvre à plein d’autres possibilités, à condition de nous recentrer sur les Ecritures et l’exemple qui nous a été légué par saint Jean de Dieu. Il suffit de revenir à l’histoire extraordinaire de cet homme, sans-abri marginalisé, rejeté par la société, qui a réalisé une œuvre incroyable en seulement 12 ans, après sa conversion. Il a juste fait ce à quoi Dieu l’appelait.
En ces temps où les valeurs de l’Évangile sont souvent en contradiction avec celles du monde, il est crucial de témoigner d’une foi authentique et de rappeler que notre mission est d’abord de servir ceux qui sont en marge.