L’Hospitalité par le sport

La pratique du sport dans la vie religieuse ne va pas vraiment de soi. Et pourtant, chez les frères de saint Jean de Dieu, elle a été encouragée dès le XIXe siècle, en tant que pratique d’hospitalité.

C’est le Frère Gaëtan Corriger, supérieur du Centre Lecourbe de 1871 à 1902, qui fait figure de précurseur dans ce domaine, en demandant un jour aux jeunes frères de sa communauté de ne plus se contenter de surveiller les jeux des enfants pendant la récréation du soir mais d’y participer activement. Bien que surpris, les religieux ont obéi. Mais, peu habitués à ce genre d’exercices, ils s’effondraient ensuite dans leur lit et n’entendaient pas leur réveil lorsque venait l’heure de la ronde nocturne. Le supérieur, contraint de l’effectuer à leur place, ne manquait alors pas de les taquiner à ce sujet et leur expliquait : « depuis que vous jouez avec les enfants, que vous les animez par votre exemple, que vous les tenez en haleine, les mœurs sont meilleures, les nuits sont bonnes et le Bon Dieu est moins offensé »1.

Le sport comme moyen d’inculquer des valeurs morales et de maintenir la bonne harmonie dans la maison, il fallait y penser ! Les frères se sont donc mis au sport, non pas pour entretenir leur propre santé mais par hospitalité, au même titre qu’ils auraient prodigué un soin, pour les bienfaits que ce sport pouvait apporter aux personnes accueillies. Avec leurs pensionnaires, ils ont donc pratiqué le football, la pétanque, puis le basket : uniquement des sports collectifs bien entendu !

Une partie de foot au noviciat (Ordre Hospitalier de Saint Jean de Dieu, Paris)

Ce n’est qu’à partir des années 1930 que les frères ont commencé à faire du sport entre eux, pour eux-mêmes. Cette petite révolution est l’œuvre de Frère Ephrem Blandeau, alors supérieur à Dinan, qui a compris que le sport est un temps de détente important, voire nécessaire, aux jeunes religieux. Mais du foot au couvent, cela ne s’était jamais vu ! Ainsi, devant la méfiance du commerçant auquel il achète le tout premier ballon du noviciat, il prétexte que celui-ci est destiné à de jeunes pensionnaires de l’hôpital. Et grâce à la complicité du frère chargé de la ferme, son petit groupe de novices peut trouver le pré idéal pour la pratique de leur sport favori.

A cette époque, impossible pour eux de porter le short et maillot qui composent la tenue règlementaire du joueur de foot : l’habit religieux et les chaussures de frère sont de rigueur en toutes circonstances. Mais peu importe, rien ne les arrête et tant pis si ces vêtements peu pratiques pour courir leur occasionnent de nombreuses chutes et glissades : cela ne fait qu’ajouter de la joie et des rires à l’ambiance de l’hôpital2. Car, les novices, en jouant au football, fournissent aux pensionnaires un spectacle des plus divertissants ! Si divertissant que certains malades les rejoignent volontiers, faisant d’eux les pionniers du sport à l’hôpital psychiatrique.

Partie de basket à l’hôpital psychiatrique
(Ordre Hospitalier de Saint Jean de Dieu, Paris)

Cette pratique s’est ensuite beaucoup développée et la tradition des matchs de foot du noviciat a perduré. Je ne parlerai pas des prouesses sportives de l’un ou l’autre frère, leur objectif n’ayant jamais été la performance. Leur plus grand exploit est d’avoir trouvé, par le biais du sport, une autre manière de pratiquer l’hospitalité envers les personnes accueillies et envers leurs confrères, permettant à chacun dans ces moments de détente partagés de troquer son statut de novice, de frère, d’infirmier ou de patient, contre celui de joueur, de coéquipier.


  1. Frère Pierre-Fourier Picard, Frère Gaëtan Corriger, s.d. ↩︎
  2. Frère Urbain Loch, Le Père Ephrem Blandeau, frère de saint Jean de Dieu, 1983. ↩︎