Frère Christian, 50 ans d’action de grâce

Frère Christian est Frère hospitalier de Saint Jean de Dieu depuis 50 ans. A l’occasion de ce jubilé, il dit son émerveillement devant la fidélité de Dieu et revient sur ces années de ministère en tant que frère et prêtre. 

Comment avez-vous découvert saint Jean de Dieu et l’Ordre hospitalier ?

Alors que j’étais en seconde au Lycée Notre Dame de Grandchamp à Versailles, frère Pierre Renier, promoteur des vocations de l’Ordre hospitalier de Saint Jean de Dieu, est venu présenter un film, Le Quatrième Vœu racontant les étapes de la vocation d’un frère de Saint Jean de Dieu mais surtout, il a demandé que des élèves visitent les jeunes handicapés de la rue Lecourbe et fassent le catéchisme le jeudi après-midi. Nous étions quatre à répondre à l’invitation.

Je me posais la question de l’orientation de ma vie à ce moment- là, et pourquoi pas celle d’une vocation à la vie consacrée, tout en étant persuadé que je n’étais pas fait pour ça. Chaque jeudi après-midi, avec mes amis nous prenions le train à Versailles Rive Gauche et une demie heure plus tard nous arrivions à la rue Lecourbe. Les frères étaient accueillants, les jeunes handicapés nous attendaient, nous avions le même âge et nous sommes vite devenus amis. Par ailleurs, j’allais souvent à La Villetertre où les frères géraient un CAT. Là encore, j’avais le même âge que les résidents et nous étions amis.

Après deux ans de philosophie au Grand Séminaire de Versailles je poussais la porte du noviciat de Lyon. C’est un hôpital psychiatrique, les débuts ont été difficiles. Je ne connaissais pas ce milieu, petit à petit j’ai aimé prendre soin des patients.

J’ai vécu mon noviciat comme de belles années de ma vie. C’est à cette époque que frère Corentin (Jean-Caradec Cousson) publiait une vie de Saint Jean de Dieu « de l’angoisse à la sainteté ». Son enthousiasme, sa passion, sa dévotion au Fondateur m’ont touché.

Puis, ce fut le temps des études de théologie, à Rome. L’étude de la science sacrée m’a passionné et, grâce à Dieu, cette passion ne m’a jamais abandonné. J’ai fait profession solennelle le lundi de Pâques 1979, une semaine après j’étais ordonné diacre puis, en juin de la même année, j’ai été ordonné prêtre. A cette époque le Supérieur Général, Frère Pierluigi Marchesi, initiait une formation sur le renouveau de la vie religieuse et ce qu’il appelait « la nouvelle hospitalité. » J’étais partie prenante de ces formations.

Depuis votre profession religieuse, vous avez vécu des expériences pastorales très diverses. Comment la spiritualité de saint Jean de Dieu vous a-t-elle porté dans ces ministères ?

Ce qui m’a attiré dans l’Ordre des frères de Saint Jean de Dieu, c’est la belle harmonie entre la vie religieuse et le service des malades et nécessiteux. C’est peut-être l’essence de notre Ordre hospitalier : vivre un lien étroit entre l’apostolat et le rythme de la vie religieuse. Pour ma part, je cherche à garder cet idéal, à travers la prière commune, l’étude, la prédication, la vie fraternelle, le contact avec les malades et nécessiteux, c’est-à-dire l’annonce de l’évangile de la miséricorde sous diverses formes.

En quoi le message de saint Jean de Dieu est encore d’actualité ?

Il y a plusieurs intuitions intemporelles chez saint Saint Jean de Dieu : pour lui, il s’agit de vivre l’évangile à fond « Dieu avant tout et par-dessus tout ce qui est au monde », « je suis endetté et captif pour Jésus-Christ seul ! » disait-il. Ce qui est important, c’est la recherche d’une vie à la suite du Christ, en vivant les œuvres de miséricorde. Cela ne se démode pas.

Par ailleurs, la forme de vie religieuse qui est celle de l’Ordre hospitalier de Saint Jean de Dieu correspond à ce que cherchent aujourd’hui les jeunes : une vie communautaire, une vie de prière si possible simple et belle, une diversité dans l’apostolat hospitalier. Ce qui est frappant, c’est que, malgré l’état de l’Église actuelle, des jeunes veulent toujours engager toute leur vie au nom de leur attachement au Christ. Certes, il y a moins de frères de Saint Jean de Dieu qu’il y a cinquante ans en France mais, comme dans beaucoup d’ordres religieux, en Afrique, à Madagascar et aux Philippines par exemple, il y a des vocations.

Fêter un jubilé, c’est rendre grâce pour le don de la fidélité. Quel regard portez-vous sur ces cinquante années passées… et sur les prochaines ?

J’ai beaucoup de mal à réaliser que cela fait cinquante ans ! Les jubilaires, pour moi, c’était des frères très âgés ! Ce qui m’émerveille, finalement, c’est d’avoir gardé la foi, au milieu des profondes turbulences que j’ai traversées, même si la foi n’est jamais évidente. C’est toujours une quête, une recherche. Mais surtout, je m’émerveille devant la fidélité de Dieu, et ce ne sont pas que des mots. À plusieurs occasions, j’aurais tellement pu remettre tout en cause. Je n’ai pas toujours eu une vie facile, y compris à travers toutes les épreuves que l’on peut connaître dans la foi. La vie chrétienne et la vie consacrée n’évitent pas les remises en cause. C’est pourquoi je m’émerveille de toujours croire et de toujours espérer. Je constate que la fidélité de Dieu, en particulier dans son expression sacramentelle, à travers l’Eucharistie et la Réconciliation, m’a tenu. Je suis toujours étonné, quand je prends le temps de lire la Parole de Dieu d’être toujours aussi émerveillé. Je crois que c’est une grande grâce.

J’ai enfin gardé la même certitude que l’Église est prophétique. C’est le Saint-Esprit qui mène l’Église à sa manière ; c’est déroutant, mais c’est plus sûr ! Le Christ parle du levain dans la pâte (cf. Mt 13, 33). Nous sommes, dans nos pays, devant des réalités troublantes et déstabilisantes, mais cela ne peut que nous faire grandir dans l’humilité et la sainteté. Même après cinquante ans, je me sens un peu comme saint François, qui, à la fin de sa vie, déclarait ne pas avoir commencé à se convertir ! En tous cas, je rends grâce pour une vie intéressante, en particulier grâce aux ministères très variés que j’ai pu avoir.

Finalement, « que demandez-vous ? »

Il s’agit de la phrase par laquelle s’ouvre le rite de la prise d’habit et de la profession dans l’Ordre hospitalier de Saint Jean de Dieu.
La miséricorde de Dieu, et la vôtre… Plus que jamais !